dimanche 1 mars 2009

L'Africain

L'Africain de J.M.G. Le Clézio

« J'ai longtemps rêvé que ma mère était noire. Je m'étais inventé une histoire, un passé, pour fuir la réalité à mon retour d'Afrique, dans ce pays, dans cette ville où je ne connaissais personne, où j'étais devenu un étranger. Puis j'ai découvert, lorsque mon père, à l'âge de la retraite est revenu vivre avec nous en France, que c'était lui l'Africain. Cela a été difficile à admettre. Il m'a fallu retourner en arrière, recommencer, essayer de comprendre. En souvenir de cela, j'ai écrit ce petit livre. »

On est tout de suite envoûté par le livre. D'abord, il y a la langue limpide et claire, des mots choisis, ciselés, chacun plein de sens et de mystère ; pas de grandiloquence, de mots crus ou de phrases compliquées ; un fleuve de mots qui se succèdent , qui roulent et palpitent au rythme de l'Afrique. Des mots évocateurs, qui suggèrent les corps, les forêts, la violence du ciel, l'indolence des plaines écrasées de chaleur.Et puis il y a le récit, poignant, la blessure jamais cicatrisée d'une enfance perdue et de cette Afrique brûlante et sauvage (loin du colonialisme) qu'il n'oubliera pas.

l'Afrique ce ne sont pas des visages mais des corps, c'est, au milieu des scorpions et des serpents, la liberté totale et dangereuse pour un petit garçon de 8 ans qui n'a connu que la vie en appartement dans un Occident policé.

C'est aussi la sauvagerie de la nature, orages, fourmis, forêts profondes, nuits pleines de bruits et de craquements....moiteur....tout un monde primitif, pas celui des colons mais celui des griots et des sorciers , des montagnes du Mbam et des pays Mbembé, Kaka, Shanti. "tout cela non comme un paradis mais un trésor d'humanité, quelque chose de puissant et généreux, tel un sang pulsé dans de jeunes artères."

c'est aussi le récit d'un paradis perdu, celui de l'enfance , du père si présent et si lointain, si adoré et si haï, si héroïque et si misérable.........une complicité à jamais perdue à cause de la guerre, de l'éloignement ...quand il le retrouve, il a déjà 8 ans , le changement est radical, trop brutal ; à la douceur d'une éducation presque exclusivement féminine, succède la discipline virile et la brutalité d'un père déjà meurtri , c'est l'incompréhension ;Avec le temps, bien plus tard viendra l'admiration et la découverte de la vie extraordinaire qu'ont eu ses parents "dans ces régions aux horizons lointains , au ciel plus vaste, aux étendues à perte de vue"

J'ai beaucoup aimé l'intensité de l'émotion qui se dégage de ce roman malgré une grande retenue, elle rend palpable les lieux et les sentiments , on sent pulser la liberté, la sensualité... L'Afrique est sa vraie mère ; il a été conçu là-bas dans les amours de ses parents parcourant à cheval dans la moiteur des forêts ou les éclaboussures des fleuves, un continent encore vierge à l'ouest du Cameroun..

c'est un roman de mémoire, mémoire du temps, mémoire des instants de bonheur à l'image d'une vieille photo prise par son père avec son Leica à soufflet représentant "Les hauts plateaux où avancent lentement le troupeau de bêtes à cornes de lune à accrocher les nuages, entre Lassim et Ngonzin."C'est l'image que j'en garderai..celle qui permet de ressusciter le paradis perdu de l'enfance et de l'Afrique originelle.



un autre regard sur ce livre : Keisha, Sylire Lapinoursinette

7 commentaires:

  1. Très joli billet qui retranscrit parfaitement l'ambiance du livre !

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  2. merci de m'avoir faire découvrir ce roman de Le Clezio..j'en lirai d'autres..

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  3. Pour le Blogoclub, j'ai lu Onitsha et il y a des correspondances évidentes entre ces deux livres. J'ai trouvé que l'Africain était encore plus fort qu'Onitsha car il y a moins de distance, le récit étant plus ouvertement autobiographique. Dans Onitsha, le lecteur est un spectateur émerveillé mais avec l'Africain, il est encore plus touché au coeur! Et tu l'as très bien dit dans ton billet!

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  4. vu ton joli billet sur Onitsha qui me donne envie de me replonger dans cet univers prenant !!

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  5. Avec Sylire, nous sommes trois à avoir aimé ce livre : bonne pioche!
    Tu as choisi une belle photo.

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  6. Serait-ce son meilleur livre ?? ou du moins le plus abordable ?

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  7. Je l'ai lu aussi et ton billet retranscrit fidèlement ce que j'ai ressenti.

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